Coup de coeur : Extrait du livre “Les voies du silence”

de Rémi Chéno,  Dominicain et docteur en Théologie,

Editions Cerf.

 

L’écoute

Silence

L’ami

…Voilà donc quelle doit être votre unique attention: scrutez ce silence établi au fond de vous, sans vous soucier de tout ce qui, plus en surface, s’agite, bruisse, imagine ou réfléchit. Scrutez ce silence pour y découvrir une altérité, mais surtout sans laisser votre imagination ou votre mémoire la fabriquer. Il est bien difficile de rendre compte de cette altérité, parce que, justement, vous ne laisserez pas place à l’imagination avant de l’avoir reconnue. Elle est d’abord de l’ordre d’une certitude intime, avant d’être peut-être objet d’une expérience. Si elle était objet d’une expérience, elle serait déjà dicible, au moins un peu. Il y aurait déjà des mots qui la diraient et qui s’interposeraient entre vous et cette certitude intime. En fait, dès que vous reconnaissez une expérience, vous avez quitté le lieu du silence. Donnez donc à votre silence intérieur le temps pour qu’il vous fasse connaître l’altérité qui le constitue. Écoutez le silence de Dieu!

…Ne vous encombrez pas de savoir si vous êtes deux sujets distincts. Il n’y a qu’un silence, mais vous savez qu’un autre y est présent. Faites-vous pour autant deux sujets ou ne faites-vous qu’un? Seriez-vous vous-même Dieu présent au fond de vous ou bien y habite-t-il sans se fondre avec vous? Laissez ces questions inutiles, ce n’est que du bruit. Vous pourrez toujours, plus tard, lire des livres à ce sujet. Ils ne manquent pas, et plusieurs réponses différentes, voire opposées, ont été données à ces problèmes, qui sont sans doute toutes légitimes. Si vous ne savez pas comment rendre compte de ce que vous savez de ce silence, de ce que vous en croyez (car c’est de foi qu’il s’agit finalement), ne vous en inquiétez pas. Goûtez simplement ce silence. Écoutez la voix du silence de Dieu. Écouter en silence le silence de Dieu, cela va de pair – je l’ai dit – avec l’expérience de notre fragilité, de la mise à nu de nos vides intérieurs et de nos faiblesses. Cela devrait être décapant, pénible et redoutable. Et c’est tout le contraire! Vous y goûterez la paix…

…Car cet échange de silences peut être exprimé aussi comme un échange de regards, à condition de ne pas y ajouter les images que vous auriez envie d’y superposer. On peut en rendre compte comme d’un échange de regards, mais sans qu’il n’y ait rien à voir. Voilà les expressions auxquelles nous sommes réduits: écouter le silence de l’autre, regarder son regard sans rien voir, sans aucune image. Comme toujours, les mots éclatent pour laisser venir un sens qu’ils ne peuvent produire parce qu’il ne peut qu’advenir de lui-même, sans que vous cherchiez à le constituer, sans aucune fabrication. Impossible de parler de ce dialogue de silences, de cet échange de regards, sans casser les mots. L’autre dont vous ferez l’expérience impalpable de son silence et que les chrétiens appellent Dieu, se présente à vous sans parole et sans nom. Un anonyme donc, qui ne saurai s’imposer à vous, mais dont vous pourrez deviner le caractère amical de la présence. Si donc vous ne pouvez le nommer Dieu, nommez-le tout simplement l’Ami. Ce nom devrait lu plaire et convenir en même temps pour qualifier votre dialogue muet avec lui.