Le Yoga selon Evelyne Sanier-Torre.
Interview paru dans Santé Yoga
Evelyne Sanier Torre a été Présidente de la FIDHY de 1995 à 2002. Elle est aujourd’hui Présidente de la Fédération de Yoga des Lignées d’enseignement FYLE.
Depuis l’ouverture de son école en 2003, le Collège National de Yoga à Paris et Ermont (Val d’Oise) , elle propose des cours de yoga, des séminaires, ainsi que des formations d’enseignants.
Pour un professeur de yoga, quel est l’intérêt d’adhérer à une Fédération qui défend les formations longues d’au moins quatre années?
Plusieurs fédérations défendent les écoles qui dispensent des formations d’au moins de 500 heures sur quatre années afin de répondre aux exigences du Programme de Base Européen élaboré par l’Union européenne de yoga. Aujourd’hui, sur le plan juridique, aucun texte de lois n’oblige quelqu’un à suivre une formation. Tous ceux qui le souhaitent peuvent s’improviser professeur de yoga en suivant par exemple des micros-formations organisées sur deux week- ends.
Outre le fait qu’on peut se demander comment transmettre cette discipline sans une pratique préalable approfondie, le risque qu’ils encourent, est que le jour où le diplôme de yoga sera reconnu comme un diplôme d’état, tous ceux qui auront suivi une formation courte risquent de ne plus avoir l’autorisation d’exercer.
Pensez-vous que cette reconnaissance par l’Etat serait un bien?
Je pense avant tout qu’elle sera difficile à mettre en place et je crains qu’elle ne satisfasse pas tout le monde. Pour la simple raison que les personnes qui vont légiférer sur la question sont totalement extérieures au sujet. Cela ne va pas être évident pour eux de créer une loi, tout en conservant l’essence du yoga.
Pourquoi avoir ouvert votre propre école ?
Pendant mes sept années de présidence à la FIDHY, j’ai toujours essayé de parler au nom de tous les yoga et de respecter toutes les formes d’enseignement. A un moment, j’ai ressenti le besoin de parler seulement en mon nom et de transmettre le yoga, tel que je le ressentais, tel que je le vivais, sous tous ses aspects. Le yoga est un art d’Être, un chemin de vie pour qu’éclose notre véritable essence…
Qui intervient dans votre école ?
Je fais intervenir pour mes formations des personnes aussi merveilleuses sur le plan humain que compétentes dans leur domaine. Chaque discipline est enseignée par un formateur spécifique, afin de proposer un enseignement de grande qualité dans chaque domaine.
L’imminent Carl Keller, professeur émérite d’histoire des religions, nous permet d’approfondir l’étude des mystiques universelles et des grands textes spirituels. Françoise Mazet sanskritiste, nous invite à découvrir les richesses cachées de textes comme les Upanishad ou les yoga sutra.
Yolande Deswarte, kinésithérapeute depuis 40 ans, co-élaboratrice de la Spirldynamik propose une anatomie vivante appliquée au yoga.
Bernard Besret, docteur en théologie, partage ses réflexions sur la place du corps dans le chemin spirituel.
Le Docteur Albert-Claude Quemoun, Président de l’Institut Homéopathique Scientifique enseigne la physiologie et nous donne un aperçu des dernières découvertes scientifiques.
Edith Lombardi, psychologue clinicienne, met en lumière la résonance des mythes. Jean-Marie Vigoureux, Professeur de Physique et chercheur à l’Université de Franche Comté aborde la place de l’homme dans l’univers.
Et Martine Le Chenic qui fut disciple directe de Sri BKS Iyengar enseigne un autre courant de Hatha yoga que moi, car si le but est le même… les chemins pour y accéder sont multiples…
Quand à moi, j’enseigne la pratique, la pédagogie, et le lien entre les textes (principalement les yoga sutra et la Bhagavad Gîtâ) notre pratique et la vie quotidienne.
Toutes ces disciplines sont essentielles pour un professeur ?
Je dis toujours à mes élèves qu’il faut beaucoup apprendre, pour pouvoir tout oublier. Et pourtant l’enseignement du yoga ne passe pas par la voie du savoir mais par celle de l’expérience.
L’enseignant de yoga doit créer les conditions pour que s’installe l’état de yoga… Et c’est là toute la richesse de cet enseignement. Il ne serait pas intéressant de reproduire un cours appris dans la formation. En revanche, les outils qu’ils auront acquis seront utiles et il leur conviendra d’utiliser le bon outil au bon moment, avec le bon élève. Il y a tellement de facteurs changeants qui interviennent dans un cours ! L’élève avec ses possibilités physiques, son humeur, son passé, mais aussi la saison, l’heure de la journée, le lieu du cours…
Tous ces facteurs extérieurs, auxquels le professeur doit s’adapter pour créer à chaque fois un cours unique en adéquation avec la situation donnée…. C’est pour cette raison qu’il faut se détacher de ce que l’on a appris pour laisser développer son intuition de l’instant. Mais pour que l’intuition soit juste, il faut avoir beaucoup appris et pratiqué.
On ne peut pas copier quelque chose sur le chemin de l’êtreté. Enseigner le yoga, c’est créer les conditions pour que s’installe un état, un état d’être. C’est une voie d’Eveil, d’éveil de la Conscience.
Dans votre formation de professeur, vous consacrez une large place à l’étude de l’anatomie…
Le corps est notre instrument dans la pratique des postures. Il est donc primordial d’en prendre soin. Une bonne connaissance anatomique permet à la fois une pratique juste et une pédagogie adaptée à chacun en fonction du corps qu’il a.
Prenons l’exemple du cobra qu’on accuse souvent de traumatiser les lombaires. C’est faux. Pour protéger le dos, il suffira d’être en suspension inspiratoire pendant la posture et de placer le bassin en rétroversion en installant le pubis au sol tout en opposant ce que j’appelle le pôle bassin au pôle tête en poussant la fontanelle vers le ciel et ainsi nous avons un étirement de tout l’axe vertébral, qui par là même est protégé.
Et puis employer un langage anatomique permet d’éviter les tabous et de gêner les élèves. Utiliser le mot périnée est plus précis et moins gênant que d’employer le mot sexe.
Vous formez des futurs enseignants mais vous enseignez également le yoga à des personnes qui ne veulent que pratiquer. Qu’est-ce le yoga apporte ?
Mes cours d’approfondissement durent de deux à trois heures et les cours hebdomadaires sont d’une heure. J’axe alors mon enseignement à la fois sur la tonicité et le lâcher-prise. Par leur pratique, les personnes développent l’énergie vitale dont ils ont besoin pour surmonter les difficultés de la vie. Et petit à petit s’installe le lâcher-prise qui permet d’apprécier l’instant présent et de faire confiance à la vie.
C’est souvent le plus difficile : accepter de ne pas vouloir tout contrôler, accepter ce qui ne vient pas de nous, ce qui arrive de l’extérieur. Il y a des choses sur lesquelles nous n’avons aucune emprise, comme un décès, par exemple, et dans ce cas il faut à la fois de la volonté et de l’acceptation, sinon il sera impossible de surmonter ces traumatismes.
Le yoga rend heureux alors ?
En tout cas il permet de mieux profiter de sa vie. Et bien vivre sa vie permet aussi de mieux accepter la mort. Il y a de plus en plus de discrétion autour de la mort, donc l’homme se prépare de moins en moins à mourir. Il semble vouloir fuir sa condition et pourtant la mort fait partie intégrante de la vie puisqu’elle en est la dernière étape connue.
En vivant pleinement sa respiration, on lui redonne son sens. Toute vie commence par une inspiration et se termine par une expiration. Savez-vous que tous les problèmes respiratoires sont liés à l’expiration ? Vivre cette impermanence au gré du souffle… Naître et mourir à chaque respiration pour vivre consciemment ce souffle qui nous anime et découvrir toute la richesse de l’instant présent.
La vie est une succession d’instants. Il est dommage de gaspiller son temps à être dans le passé ou dans le futur. Le yoga permet de prendre conscience de la valeur de l’instant présent. Dans la langue française, le mot présent est aussi synonyme de cadeau. Peut-être faudrait-il voir là le signe de la nature profonde de ce qu’est la vie… un cadeau.